Le salariat, c’est fini ?

Ubérisation de l’économie, montée des plateformes collaboratives, explosion du nombre de travailleurs indépendants…

De nouvelles formes d’emplois et d’organisations du travail voient le jour, s'éloignant toujours un peu plus du cadre traditionnel de subordination entre employeur et employé.

Si vous êtes né entre 1985 et 1995 en Europe, une étude CareerBuilder (2016) montre que vous occuperez en moyenne sept emplois différents au cours de votre carrière.

Et pour vos enfants, ce sera probablement sept emplois en simultané !

Alors, adieu « vélo, boulot, dodo » : le salariat est-il en train de brûler ses dernières cartouches ?

Le salariat, depuis quand ?

Petit retour en arrière historique. Le salariat n’a pas toujours été la norme de l’organisation du travail. Il n’a pas toujours fait l'unanimité non plus. Dès son apparition au moment de la Révolution industrielle, il a nourri de nombreuses craintes auprès de travailleurs qui le voyaient comme une régression par rapport à l’indépendance dont ils jouissaient auparavant.

Mais les temps changent.

En l’espace d’un demi-siècle, le salariat a infusé dans la population active à mesure que les mouvements sociaux arrachaient aux gouvernements des droits sociaux pour transformer ce cadre contraignant en un cadre protecteur.

Même les cadres sup’ deviennent « salariés » !

C’est ainsi que le salariat devient une caution pour le travailleur, la reconnaissance de ses droits, une protection contre l’arbitraire… et qu’il est progressivement adopté par les travailleurs qualifiés, ceux qu’aujourd’hui nous désignons par les vocables de « cadres » et « cadres supérieurs ».

Remarquez que même les CEO des grandes entreprises sont pour la plupart salariés (et parfois actionnaires) de l’entreprise qu’ils dirigent.

Il est donc ici intéressant de comprendre que le salariat n’est qu’une invention récente à l’échelle de l’histoire des relations sociales, une des multiples façons d’organiser le travail et sa rémunération.

Et les temps changent…

De la révolution industrielle à la révolution individualiste

Aujourd’hui, le dilemme entre travail salarié et indépendant semble ressurgir à la faveur des progrès du numérique, du succès des plateformes en ligne et de l’apparition de nouvelles attentes chez les salariés notamment.

Les besoins de l’économie ont changé

On passe d’une économie de l’offre à une économie de la demande. Aujourd’hui, les gens veulent des biens et des services individualisés conçus pour eux et non plus des produits standardisés. Cela change notre outil productif et notre relation au travail.

Autrement dit, le salariat correspond de moins en moins à un capitalisme post-industriel et tertiarisé, où la « production de masse » est peu à peu remplacée par la « customisation de masse ». Les entreprises ont moins besoin de salariés en travail posté, à heures fixes, mais davantage d’équipes souples, agiles, formées au gré des projets ou des évolutions des marchés.

On le voit notamment dans le secteur IT où le lean management de Toyota a été réinventé à la sauce « agile » pour le développement d’applications numériques organisé en petites équipes pluridisciplinaires.

Et ceux des salariés aussi

Du côté des besoins individuels, l'extension du travail hors salariat correspond aussi à des choix assumés : on veut pouvoir définir le cadre de sa relation d'emploi et personnaliser ses conditions de travail.

Selon le rapport Le travail à temps partiel, paru en 2016 (ministère du Travail), 52 % des Belges voudraient pouvoir travailler de chez eux et 68 % des salariés à temps partiel déclarent avoir choisi ce mode de travail, le plus souvent pour concilier vie familiale et vie professionnelle.

Désormais, sur les lieux de travail, la dimension « épanouissement personnel » devient aussi importante que la dimension instrumentale (« gagner sa vie »).

Ceci accroît considérablement l'attractivité du travail non salarié, notamment chez les jeunes : 43 % des 16 à 19 ans souhaitent être indépendants dès leur premier job.

Pour la nouvelle génération, ces frustrations se cristallisent aujourd’hui autour du rejet d’une forme standardisée de subordination incarnée par le salariat dont la forme légale la plus courante est le CDI.

Le sociologue Denis Pennel a nommé ce phénomène « la grosse fatigue du salariat » qui ne répond plus aux aspirations des individus, car le cadre de travail est rigide et trop coercitif.

Sans parler de disparition, donc, l’image du salariat paraît bien écornée.

Il y a trois raisons principales qui expliquent que le salariat est moins attractif dans la période post-covid que nous traversons actuellement.

La fin de la subordination

Obéir à des ordres en provenance d’un supérieur, recevoir des sanctions (positives ou négatives) ou appliquer des méthodes strictes et immuables ne font plus partie des méthodes qui font recette auprès des salariés.

Les mentalités ont changé et la grande majorité des salariés sont désormais formés et éduqués, ou en possèdent les moyens. Les rapports de force employé/employeur induits par le salariat ne sont plus dans l’air du temps.

Une soif de liberté

La jeune génération veut pouvoir exercer sa liberté (qu’elle réduit souvent à « liberté individuelle ») dans sa vie privée et professionnelle. Le collaborateur du 21e siècle veut choisir ses méthodes, ses outils, les personnes avec qui il travaille.

On s’attache davantage au résultat. Par exemple, il est de très mauvais goût de demander ses diplômes à un freelance… Cela peut même vous disqualifier en tant qu’employeur potentiel.

La multiactivité revendiquée

Les vies professionnelle et personnelle étant de plus imbriquées, les individus veulent pouvoir « se réaliser » de multiples façons et exprimer leur personnalité. Le salariat, de par sa rigidité (un contrat, un employeur, un salaire), ne correspond plus tout à fait à l’exercice de plusieurs activités pros ou extraprofessionnelles.

Quel avenir pour le travail ?

Le modèle unique ou monolithisme sur le marché du travail, c’est terminé !

Le salariat ne va pas disparaître du jour au lendemain. Mais par la force des choses, il va sûrement évoluer vers des formes hybrides ou décomposées.

Voici quelques conjectures pour les années à venir.

Hybridation du travail

On voit apparaître des indépendants qui n’ont qu’un seul client, et qui sont de facto dans une relation de subordination.

Inversement, il y a de plus en plus de salariés qui sont dans une relation d’autonomie et de responsabilité où on leur laisse de plus en plus les mains libres pour faire le travail ; ce sont de véritables « salariés sans patron ». Est-ce encore une relation salariale ? C’est une hybridation.

« Mon père a travaillé toute sa vie dans la même entreprise. Moi, j’aurai eu sept emplois différents au cours de ma carrière. Nos enfants vont avoir sept emplois, mais en même temps. » Denis Pennel, sociologue du travail

Travail sur mesure, travail à la demande

Aujourd'hui, les salariés veulent du sur-mesure. Ils veulent avoir le choix parmi plusieurs options. Ils sont dans une optique de consumérisation du travail, dans le sens où ils s’attendent à le consommer comme un bien ou un service lorsqu’ils décident ce qu’ils font, avec qui et comment.

Face au « ras-le-bol » des modèles d’entreprises classiques et du top-down strict, plus particulièrement chez les jeunes générations, le travail aura sans doute tendance à se réinventer autour de valeurs centrales et primordiales pour la plupart des actifs :

  • la liberté ;
  • le sens ;
  • la maîtrise.

Un triptyque nouveau que les entreprises et les responsables RH doivent interroger et comprendre au plus vite pour continuer à cultiver leur attractivité en tant qu'employeurs dans les années à venir.

En subliminal, on peut lire ici le besoin d'une entreprise plus responsable, plus collective, plus soucieuse des besoins de ses salariés.

Pour conclure avec le sociologue Denis Pennel, on peut dire que « face à la fin de l'unité de temps, de lieu et d'action du travail, il est urgent de construire un nouveau contrat social qui ne repose plus sur le salariat, mais sur la citoyenneté ».

Avez-vous besoin de conseils pour faire évoluer votre marque employeur avec son époque et répondre aux nouvelles attentes des candidats ? Parlons-en !