Ingénieur vs intelligence artificielle : le grand remplacement ?

Aura-t-on encore besoin d’ingénieurs dans 20 ou 30 ans ? C’est la question, pas si naïve, que se posent certains scientifiques et observateurs du monde du travail. En 2017, une très sérieuse étude réalisée par le Future of Humanity Institute à Oxford a interrogé plus de 350 experts sur le sujet. En résumé, 43 % des emplois en Europe seraient menacés par les progrès de l’intelligence artificielle.

Face aux progrès fulgurants de l’analyse de la data à l’utilisation d’algorithmes de plus en plus puissants, comment se positionneront les ingénieurs de demain et comment vont-ils gérer les interactions avec la « machine » ?

Le digital est partout

La « digitalisation » de nos modes de vie n’a pas épargné le monde du travail, et encore moins les métiers liés à la conception et fabrication d’objets physiques ou numériques.

Médecins, ingénieurs civils et architectes de réseau informatique font tous un usage intensif et quotidien de la technologie pour améliorer leurs diagnostics, concevoir un ouvrage d’art plus rapidement et sans erreur de calcul ou redimensionner correctement la taille d’une infrastructure réseau. Bref, la technologie est partout ; l’IA, la robotique et le digital au sens large font déjà partie du paysage scientifique.

Parfois même, certains ingénieurs contribuent, au sein de leur entreprise, à développer et perfectionner ces algorithmes et autres outils de machine learning. La digitalisation est un des grands axes d’innovation et de compétitivité.

On remarquera au passage que, même au niveau des États, la plupart des pays occidentaux investissent massivement dans les technologies liées à l’intelligence artificielle, attirés par toutes les promesses et débouchés de croissance qu’elle est censée offrir dans un avenir proche et aussi par effet de mode.

Disparitions annoncées

Il est indéniable que, dans certains secteurs d’activité, nombre de tâches répétitives, voire certains métiers, vont tout simplement disparaître. On pense par exemple à certains services clients que de vaillants chatbots vont prendre en charge, ou encore au secteur bancaire qui se passe de plus en plus de l’homme pour les opérations courantes effectuées par les particuliers.

Les chiffres de l’OCDE sont moins alarmistes que ceux d’Oxford : entre 9 et 12 % des métiers pourraient disparaître à cause (ou « grâce à », diront certains) de la robotisation. Il s’agit principalement de métiers peu ou pas qualifiés, mais l’inquiétude a récemment gagné les professions scientifiques : et si l’IA devenait si puissante que même les métiers qui nécessitent le plus de « matière grise pure » étaient menacés ?

Les limites de l’intelligence artificielle

Même si les machines gèrent beaucoup d’aspects de nos vies, elles ne sont structurellement pas en position de « remplacer » l’homme. Pour que l’ordinateur effectue une tâche spéciale, les ingénieurs informaticiens peuvent créer une manière de « réseau neuronal ». Mais attention, ce réseau n’a rien à voir avec un réseau neuronal humain tel que celui que nous avons dans notre cerveau. Le réseau neuronal de l’intelligence artificielle implique toujours la conception préalable d’un programme informatique (un algorithme) qui reliera une information à l’autre.

Rassurons-nous

Le cerveau est unique : il possède plus de 100 trillions de neurones ou de cellules électriquement conductrices qui nous donnent l’incroyable puissance de calcul que seul le cerveau humain possède. Il est important de se rappeler que nous ne savons même pas comment fonctionne le cerveau !

Avant de pouvoir l’imiter, il faudra des décennies de recherche en neurosciences pour avoir une idée vague de son fonctionnement. En ce sens, on peut se rassurer : l’intelligence artificielle ne dépassera pas l’intelligence humaine dans un avenir proche.

Le scénario catastrophe du savant qui perdrait le contrôle de sa « créature », comme dans le roman Frankenstein de Mary Shelley, a donc peu de chances de se produire à court terme.

Opportunités

Pour la plupart des ingénieurs, l’intelligence artificielle est davantage une aide et une opportunité : celle de redonner ses lettres de noblesse au métier d’ingénieur. Avec la mondialisation des échanges, le « business » a pris l’avantage sur le scientifique, souvent relégué au rang de « geek ». Mais, si l’IA accomplit des prouesses, c’est justement parce que des cerveaux bien faits et bien intentionnés sont aux commandes !

« Les outils numériques et d’intelligence artificielle peuvent nous aider, par exemple, en nous permettant d’analyser des données de masse beaucoup plus rapidement. Un vrai plus pour prendre des décisions plus vite et de manière plus éclairée. Mais in fine, ce sera toujours à l’humain ingénieur de décider. IA, robots ou autres logiciels, tous sont des outils créés par des ingénieurs pour être utilisés, notamment, par des ingénieurs », Claire Deligant, ingénieure en biosciences.

On pourrait résumer l’impact de l’IA sur les métiers d’ingénieurs par ce témoignage de Robert Plana, Chief Technology Officer chez Assystem : « Les nouveaux outils à notre disposition ou en développement replacent l’ingénieur dans un rôle de conception, de modélisation et d’analyse des résultats. Et accroissent ses capacités de prise de décision éclairée. »

Les vrais enjeux de l’intelligence artificielle pour les ingénieurs

Si les innovations technologiques, numériques et robotiques sont à même de révéler les qualités des plus brillants ingénieurs et de les mettre en valeur au sein de la société, une lourde responsabilité leur incombe : celle de donner un sens à leurs actions. Digitaliser, informatiser, concevoir mieux et plus vite, certes, mais pourquoi ? S’approprier les outils de son époque est une étape nécessaire, mais ce n’est pas suffisant.

Les enjeux économiques, sociaux et écologiques imposent la question du sens à tous les ingénieurs. Pour l’ingénierie, l’enjeu est donc de mieux décrire la complexité des projets, de mieux appréhender les aléas, de mieux anticiper les défaillances, pour construire un monde plus résilient et plus juste. Récemment, le géant pétrolier Shell a été condamné par un tribunal néérlandais à rehausser ses ambitions climatiques. Un bon exemple de cas de conscience pour les ingénieurs : comment mettre à profit la technologie pour construire un monde meilleur ?

En ce début de siècle, les ingénieurs, de par la maîtrise de l’IA, ont l’opportunité unique d’imaginer et de façonner les ressorts d’une industrie plus positive et qui bénéficie au plus grand nombre. Bonne chance à toutes et à tous !