
Portrait-robot de l’ingénieur du futur
Si le métier d’ingénieur offre donc aux femmes un bel avenir, qu’en est-il des défis auxquels les ingénieurs du futur seront tous confrontés d’ici 10, 20, 30 ans ? Qu’il soit un homme ou une femme, à quoi ressemblera l’ingénieur du futur?
Trois grands changements
Des tendances de fond modifient de manière irréversible l’environnement au sein duquel les ingénieurs expriment et devront exprimer leurs compétences. En choisissant ici une approche holistique — c’est l’environnement qui influence l’individu —, il est important de les mettre en lumière pour comprendre quelles seront les compétences et qualités personnelles que l’ingénieur de demain devra mettre en œuvre ou acquérir.
Digitalisation globale des échanges
La première mutation est d’ordre technologique. Le numérique joue désormais un rôle central dans l’économie et la société. Avec la mondialisation des échanges des années 80 et 90, basée sur le commerce et la finance, nous sommes entrés dans un monde interconnecté où le numérique est roi. L’échange d’informations et les manières de travailler changent à vitesse grand V.
En parallèle de ce monde toujours plus performant et véloce, les enjeux environnementaux, et plus particulièrement l’accès de plus en plus difficile aux ressources naturelles — pétrole, gaz, charbon — qui ont fait les beaux jours du modèle capitaliste, remettent en partie en cause l’hégémonie de ce dernier, donnant une part de voix plus importante aux esprits rationnels et capables de penser un monde nouveau.
C’est la revanche du geek sur le « smooth operator » que chante Sade en 1984. Le businessman de Wall Street, qui achetait et vendait pour la simple et bonne raison que cela rapportait de l’argent, laisse place au technicien qui résout les « vrais » problèmes du monde.
Conséquence : ces mutations remettent l’ingénieur au centre du jeu économique. Lui qui avait été écarté de l’échiquier pendant la tertiarisation du monde est en position d’occuper une nouvelle fois le beau rôle avec, cette fois, plus de pouvoir et d’emprise sur son environnement. Mais ce que l’on attend de lui n’a rien à voir en termes de responsabilités ou d’expertise
Mise à plat
La seconde tendance qui impactera les ingénieurs dans les années à venir est l’horizontaliation des organisations. On pourrait également parler de désintermédiation des échanges ou d’aplanissement des hiérarchies en entreprises. C’est bien sûr la technologie qui est à l’origine de ce bouleversement en permettant au « collaboratif » de s’imposer comme mode de gestion des échanges et des rapports humains en entreprises.
Pour l’ingénieur, cela signifie que, face à la démocratisation du savoir et son impact direct dans la chaîne de valeur, le relationnel et l’intelligence collective prennent tout leur sens. Ce transfert de pouvoir vers l’usager met au premier plan la notion de « client » et d’usage , au détriment du centrage sur les structures, les organisations ou les plans.
Pour parler en langage scientifique, le contrôle d’un mode horizontal ne passe plus par l’optimisation des systèmes, mais par la maîtrise des flux (par exemple, le cloud computing + lien vers article) et la valorisation d’un mode de production agile et/ou décentralisé (le fameux esprit start-up) où l’utilisateur est devenu roi.
On s’éloigne de plus en plus du profil de l’ingénieur solitaire qui conçoit le monde à sa manière pour entrevoir le portrait d’un acteur économique 100 % intégré à son environnement et conscient du fait que les enjeux ne sont pas seulement techniques, mais liés aux utilisateurs de la technologie.
Le grand mix
Une troisième tendance identifiée est celle que l’on pourrait nommer l’« hybridation ». La diversité apparaît comme la clé d’une certaine réussite que certains nomment résilience ou adaptabilité.
Nous entrons dans l’ère des « makers », des « ateliers », des « labs », du mélange entre conception, réalisation et talonnement. Même dans le champ économique, des termes comme « innovation frugale » (faire avec ce que l’on a) apparaissent. C’est la réconciliation entre la conception abstraite et le « faire », entre le professionnel et l’amateur.
De quoi chambouler la vision classique du métier d’ingénieur : autrefois maître de la matière, celui-ci n’aura plus seulement affaire à des formes et des fonctions, mais à des utilisateurs et des besoins.
L’ingénieur de demain devra agir en simultané sur des référentiels abstraits et des référentiels tangibles. Saura-t-il être le médiateur entre un monde de spécialistes et une culture populaire aux attentes immédiates et changeantes ?
5 compétences pour l’ingieur du futur
Au-delà de connaissances purement techniques, l’ingénieur devra cultiver un socle de compétences transverses pour relever ces nouveaux défis. Elles sont parfois regroupées sous le terme un peu réducteur de “soft skills”. L’enjeu est en réalité tout autre : à travers ses réflexions et son travail quotidien, c’est une nouvelle vision du monde que l’on attend de lui.
L’expertise
Il fut un temps où l’on attendait d’un ingénieur qu’il construise ou bâtisse, qu’il ajoute sa pierre à l’édifice de manière quantitative et intelligente. Pour schématiser, aujourd’hui, tous les ponts et toutes les routes sont construites. L’enjeu, c’est de trouver de nouvelles manières de se déplacer, plus inclusives et moins polluantes.
Les structures sont en place, ce sont les business models qui changent. L’ingénieur du futur doit devenir un expert en redéfinition de la chaîne de valeur qui ne va plus seulement du fabricant à l’utilisateur, mais de l’usager au concepteur. C’est donc une pensée de rupture qui sera utile aux ingénieurs qui voudront avoir un impact sur le monde de demain.
Être ingénieux
Dans un monde qui va toujours plus vite, l’ingénieur sera de plus en plus souvent mis face à des problématiques sans solution apparente. Ce qu’on attend de lui n’est pas la solution miracle, mais la capacité à contourner le problème ou réduire les risques sur les différents points de la chaîne de valeur afin de rendre le projet possible.
Le moteur de l’ingénieur ingénieux n’est plus l’accumulation de savoirs, mais le dépassement de soi ou des limites apparentes d’un projet. La remise en cause permanente des référents et l’immersion dans les usages plutôt que dans les « livres » sera également une qualité importante à développer.
Agile comme tout le monde
Le désilotage des activités économiques et la mise à plat des organigrammes rendent possible et nécessaire le travail en mode agile. L’ingénieur doit partir du postulat qu’il ne peut pas parvenir à ses buts seul, ni en termes de savoir, ni en termes de délai, ni en termes de satisfaction finale. La bonne solution est nécessairement ailleurs, chez l’autre.
L’ingénieur du passé avait un cahier des charges, l’ingénieur d’aujourd’hui a des clients auprès desquels il doit faire preuve d’empathie.
C’est par exemple ce qu’a compris Steve Jobs un peu avant tout le monde, en focalisant ses efforts sur les usages des consommateurs et des individus et en arrêtant de se focaliser sur des problématiques de production (quand, combien ça coûte, quelle quantité…).
L’ingénieur du futur est résolument conscient du fait que « la vérité est ailleurs » et que seule la qualité de son réseau et de son écosystème lui permettra de saisir, avec le plus d’acuité possible, le monde qui l’entoure (culture du feed-back) pour en résoudre certains problèmes.
« L’accès de plus en plus généralisé à l’information va entraîner la nécessité d’une transparence quasi totale sur les produits industriels, les processus […], avec des conséquences sur le métier d’ingénieur en termes de responsabilité », Gabriel Plassat, Ademe.
Responsabilité
Les entreprises étant de plus en plus perçues comme des actrices de la société civile et les défis environnementaux devenant de plus en prégnants, l’ingénieur devient citoyen et responsable.
La maîtrise des enjeux éthiques, juridiques, sociétaux et politiques de la technologie sur la chaîne de production est une compétence absolument cruciale pour qui veut trouver sa place dans le monde professionnel des 20 prochaines années.
L’ingénieur responsable est celui qui dit non tout en proposant une solution pour innover collectivement et différemment. C’est un citoyen à part entière qui propose une lecture du présent critique et assez pertinente pour proposer un futur souhaitable.
L’influence
Soft skill quand tu nous tiens ! L’une des compétences attendues de la part de l’ingénieur du futur est sans conteste la capacité à influencer son environnement. Dans le monde actuel, rien n’est jamais acquis : un budget, des talents ou des priorités peuvent être changés.
La capacité à mobiliser des ressources limitées autour d’un projet ou d’un idéal est une compétence majeure qui rompt avec le cliché de l’ingénieur dans sa tour d’ivoire, détenteur du savoir absolu. Cela suppose une maîtrise assez fine des comportements humains et du travail en équipe pour arriver à ses fins.
La multiplication des projets dont les ressources sont issues du crowdsourcing et du crowdfunding est une des manifestations de cette nécessité de faire venir les ressources à soi et de les organiser intelligemment pour créer quelque chose de nouveau.
Conclusion
Les mutations économiques, sociologiques et environnementales que nous vivons nous aident à esquisser le portrait-robot d’un ingénieur plus en accord avec son époque et dont les responsabilités augmentent au sein de l’entreprise, mais aussi en dehors.
L’éthique et la morale doivent et devront faire partie du logiciel décisionnel de l’ingénieur du futur dont le rôle, bien plus que de résoudre les problèmes du monde, sera de lui donner un sens.